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Regards croisés sur les mobilités touristiques avec Alisée Pierrot et Brice Duthion

Regards croisés sur les mobilités touristiques avec Alisée Pierrot et Brice Duthion

Dans quelques jours, se tiendra le WIT 2024 avec pour thème « Demain l’itinérance ». Avant d’engager une réflexion collective à ce sujet, deux experts invités, Alisée Pierrot et Brice Duthion, apportent leur éclairage sur les évolutions des mobilités touristiques, les tendances émergentes, les initiatives en cours, et leur impact sur l’expérience des visiteurs à l’heure actuelle.

Alisée Pierrot

Fondatrice de Mollow

Après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur à l’INSA de Lyon, Alisée Pierrot, âgée de 24 ans, a créé Mollow, une plateforme collaborative dédiée aux voyages en train, lancée en mars 2023. Mollow se distingue par la promotion des modes de mobilité durables et du tourisme responsable en France et en Europe. L’objectif est de proposer aux voyageurs des alternatives écologiques pour voyager autrement, sans recourir à l’avion ou à la voiture, tout en mettant en avant des expériences de tourisme durable une fois sur place.

Mollow en quelques chiffres :

+ de 150 destinations (50% en France et 50 % à l’étranger)

+ 50 000 utilisateurs mensuels

+ 60 000 followers sur les médias sociaux.

Retrouvez Alisée au WIT pour la table ronde « Itinérance durable is the new cool : comment promouvoir les mobilités écotouristiques ? »

Brice Duthion

Consultant en tourisme

Brice Duthion, consultant, expert et conférencier renommé dans les domaines du tourisme, de la culture et du développement territorial, a fondé après un parcours professionnel riche, sa propre entreprise “Les nouveaux voyages extraordinaires”, société de conseil, de conférences et de communication. Il collabore à différents médias spécialisés dans le tourisme, comme le blog etourisme.info ou Hospitality-on, illustrant ainsi son engagement continu dans le secteur du tourisme et de la communication.

Retrouvez Brice Duthion pour les conférences “Les Itinérances au cœur de la 4e Révolution Touristique” et  “Le tourisme des Hauts-de-France à l’ère de « l’économie de la transformation ».

Quelle est votre définition de l’éco-mobilité ?

AP : L’éco-mobilité, également appelée mobilité douce, bas-carbone ou durable, repose sur une notion fondamentale : voyager de manière plus respectueuse de l’environnement en privilégiant des modes de déplacement qui réduisent notre empreinte écologique. Cela implique notamment de limiter l’usage des moyens de transport ayant le plus grand impact environnemental, à savoir principalement l’avion et la voiture. 

BD : Je préfère personnellement la notion de « soutenabilité » plutôt que la « durabilité » car elle englobe l’idée que toute l’économie doit être viable, tant pour l’environnement que pour l’humain. Concernant la mobilité, qu’elle soit appelée durable, éco-mobilité, ou encore « slow », tous ces termes découlent en effet d’une même idée : garantir que les déplacements humains soient effectués de la manière la plus viable possible pour l’écosystème.

Quelles attentes sociétales percevez-vous concernant la mobilité touristique et plus particulièrement l’éco-mobilité ? 

AP : Plus de 65% des Français expriment le désir de trouver des alternatives plus écologiques à leurs modes de déplacement. Dans la réalité, les modes de transport en France et dans le monde demeurent principalement le transport routier et aérien. Néanmoins, le transport ferroviaire connaît également une croissance, comme en témoigne l’année record en 2023 pour la SNCF, marquée par un nombre en hausse de voyageurs et une résurgence des trains de nuit. 

Lorsque nous avons lancé Mollow, de nombreux sceptiques nous ont affirmé qu’il n’y avait pas de marché pour ce type de service. Dès la semaine de notre lancement, nous avons pourtant généré plus d’1 million d’impressions sur LinkedIn et attiré 60 000 utilisateurs en une semaine sur notre site. Ces chiffres témoignent clairement d’une demande de changement. On reçoit une montagne de questions variées qui vont de la taille des couchettes dans les trains de nuit à la possibilité de prendre une douche. Il y a un réel manque d’informations sur les alternatives de voyage, et c’est précisément ce vide que nous nous efforçons de combler avec Mollow.

Le voyage en train : l’alternative qui monte

BD : Depuis la Seconde Guerre mondiale, notre société s’est profondément ancrée dans une culture de la mobilité. En France, chaque individu se déplace en moyenne entre 3,5 et 4 fois par jour. Cette mobilité est indissociable de notre liberté, qu’elle soit quotidienne ou touristique.

Un autre aspect crucial est le besoin de donner du sens au voyage. Sur le plan sociologique, le prisme à travers lequel nous percevons la mobilité a changé. Pendant les 30 dernières années, voyager, c’était plutôt accumuler les kilomètres. Cette perspective a considérablement évolué. La mobilité ne se réduit plus à une simple question de distance parcourue, mais devient une manière d’interagir avec le monde, une exploration de l’altérité et de soi-même. 

De plus, la mobilité met en lumière les disparités économiques, sociales, démographiques et culturelles. L’un des défis majeurs est de garantir à ceux qui ont moins de ressources – près de 40% des Français ne partent pas en vacances – la possibilité d’être mobiles et d’accéder aux loisirs. Le coût du transport, notamment ferroviaire, reste un obstacle majeur. Pour rendre la mobilité plus accessible, il est impératif que les pouvoirs publics et les collectivités agissent en faveur de tarifs abordables. De nombreux pays européens, à l’image de l’Allemagne, ont déjà pris des mesures dans ce sens, en proposant des tarifs ferroviaires attractifs avec succès.

L’éco-mobilité implique un équilibre d’acteurs – le politique, l’économique et le citoyen – dont les visions et les stratégies ne convergent pas toujours ! Au cours des dernières décennies, l’automobile a été considérée comme étant au cœur de la liberté des Français, reflétant ainsi une vision collective de la mobilité. Cependant, cette vision a conduit à un déclin progressif du système ferroviaire. Quant à l’usager, il reste un paradoxe vivant, animé par des engagements philosophiques, mais confronté à la réalité. Le processus de changement s’avère donc être un cheminement long et complexe.

Est-ce que l’organisation sociétale et du temps de travail est actuellement adaptée au développement de l’éco-mobilité ?

AP : Dans l’imaginaire collectif, le voyage a toujours été associé à l’exploration du bout du monde et l’idée de le faire en train peut susciter l’inquiétude quant à la durée du trajet. Pourtant, la France demeure la première destination touristique mondiale. Nous avons quand même la chance de bénéficier d’un réseau ferroviaire développé, offrant des solutions de voyage pratiques et accessibles. Aujourd’hui, certaines entreprises accordent davantage de flexibilité à leurs employés, favorisant ainsi les déplacements en train. Cependant, un obstacle persiste : la plupart des locations de vacances sont généralement proposées du samedi au samedi, ce qui peut entrer en conflit avec les tarifs fluctuants des billets de train, ajustés en fonction de la demande. Il me paraît essentiel de réfléchir à une meilleure répartition des flux pour optimiser l’expérience des voyageurs.

BD : Il est essentiel de garder à l’esprit que notre perspective française ne reflète pas nécessairement celle du reste du monde. En France, nous avons développé un véritable art de l’organisation des congés, avec la division en trois zones pour mieux répartir les flux touristiques. Cette particularité a même surpris les Japonais lors d’une de mes conférences. 

Claude Lévi-Strauss affirmait que « On court le monde d’abord à la recherche de soi-même. » Nous avons propagé l’idée que le bonheur et les réponses à nos questions se trouvaient à l’autre bout du monde, alimentant ainsi une industrie touristique axée sur la vente de billets d’avion plus onéreux et de séjours en hôtel. C’est sur ce point également qu’il est nécessaire de travailler différemment. 

Nous sommes à un tournant historique dans notre relation à l’environnement et aux vacances. Avec l’évolution des pratiques sociétales, des horaires de travail, et l’émergence de l’intelligence artificielle, nous assistons à une refonte du travail dans les entreprises et les collectivités. Comme le souligne Jean Viard : « Auparavant, c’étaient les travailleurs qui partaient en vacances, demain ce seront les vacanciers qui partiront au travail. » En fin de compte, il est peut-être temps de repenser notre organisation sociale pour favoriser un changement dans nos habitudes de consommation et de déplacement.

Le marché mondial de la micromobilité devrait doubler d’ici 20301. La microaventure représente-t-elle une alternative majeure pour la mobilité touristique ?

 AP : Il y a beaucoup de trésors qui se trouvent à notre porte. Je pense aux Alpes : ce n’est pas le Canada ou la Slovénie, mais ce sont les Alpes françaises, un endroit magnifique “accessible en train de nuit depuis chez vous” ! La microaventure, c’est ça : des destinations souvent sous-estimées, offrant pourtant des expériences incroyables. Un exemple probant est celui de l’Agence Chillowé, qui a évolué des médias vers une agence de voyage spécialisée dans ce type d’aventures. La microaventure constitue une alternative complémentaire aux voyages lointains, qui mérite vraiment d’être explorée.

Partir moins loin mais vivre une expérience intense : c’est la microaventure !

BD : Il est contre-productif de présenter la micro-proximité en opposition radicale aux voyages lointains. Ce qui importe, à mon sens, c’est de cultiver « la saveur de l’inattendu », comme le souligne Jean-Didier Urbain. Dans un monde où la technologie nous pousse à vouloir tout contrôler et à éliminer les incertitudes, il est facile d’oublier que le véritable voyage réside peut-être dans la confrontation à l’inattendu. Le slow tourisme incarne cette idée, mettant en avant la lenteur, la connexion entre l’urbain et le rural, ainsi qu’un tourisme axé sur l’agriculture et la culture locale. Après le confinement, les destinations qui ont connu un succès fulgurant étaient celles qui offraient une réelle reconnection avec la nature et des valeurs authentiques. Le Morvan et le Jura, par exemple, ont été les lieux privilégiés, incarnant une sorte de revanche des destinations moins prisées. Cependant, cela ne signifie en aucun cas qu’il faut renoncer à découvrir le monde.

Comment les nouveaux besoins des voyageurs (Brice vous parliez tout à l’heure de liberté, de sens et d’accessibilité) favorisent-ils l’émergence de solutions d’éco-mobilités touristiques innovantes ? 

BD : Le politique doit être le moteur de l’innovation, entraînant ensuite les organisations dans son sillage. La politique des transports en France présente des lacunes. Si les lignes à grande vitesse ont bénéficié de financements publics sur 40 ans, les lignes secondaires, je pense à la ligne Paris-Clermont-Ferrand, souffrent d’un état de délabrement avancé, entraînant des retards inacceptables. Il est essentiel d’engager une réflexion sur la capacité des collectivités à obtenir davantage d’autonomie dans leurs décisions et dans le financement des projets des infrastructures. À cet égard, la région Occitanie se distingue par son engagement dans la création de nouvelles formes de mobilité : des initiatives de recherche sont en cours pour développer des trains fonctionnant à l’hydrogène. Parallèlement, il existe des offres de transport destinées aux personnes exclues des voyages touristiques, proposant des tarifs abordables allant de 1 à 10€. Il ne faut pas oublier que le développement durable repose sur trois piliers : l’économie, l’environnement et la société. J’ai eu l’occasion d’accompagner de nombreuses start-ups proposant des solutions technologiques, et je pense qu’aujourd’hui, l’innovation repose sur le service. Je pense à l’exemple concret d’Antidots, précurseurs dans la planification des trajets avec calcul des émissions de CO22.

AP : Effectivement, “la liberté, de sens et d’accessibilité” c’est un peu l’essence de Mollow ! Notre concept est né de notre propre expérience face à la complexité de l’accès à l’offre et la multitude des plateformes. En voulant voyager en Grèce sans recourir à l’avion, nous avons passé des heures sur des forums à essayer de comprendre comment relier le ferry, le train et le bus, pour trouver des solutions pour louer des vélos ou pratiquer des activités durables. L’idée fondamentale de Mollow, c’est de susciter l’envie de vivre des aventures auxquelles on aurait peut-être pas pensé auparavant, en inspirant et en fournissant toutes les solutions de mobilité durable en seulement trois clics. C’est un mélange entre un blog et une plateforme de réservation pratique. L’aspect « clé en main » est primordial pour nous. Toutefois, il est crucial que l’accès aux données ferroviaires européennes soit rendu beaucoup plus accessible pour que notre mission puisse pleinement se concrétiser. 

Comment développer des expériences touristiques en adéquation avec ces nouvelles éco-mobilités ?  Quels sont les freins, les difficultés aujourd’hui ? 

AP : Pour moi, la mise en réseau et l’accès à l’information sont essentiels.

BD : Il est crucial de promouvoir l’intermodalité dans le secteur touristique. Cela nécessite une coordination politique, technique et financière efficace. Ce qui peut être le plus frustrant pour un voyageur, c’est de devoir attendre entre deux modes de transport, engendrant une rupture dans son parcours. Sans parler de coordination tarifaire : il est fréquent que les tarifs varient considérablement en fonction de l’heure de connexion, sans aucune transparence pour le voyageur. Nous devons envisager des solutions telles que les guichets uniques, permettant aux voyageurs de payer une seule fois pour l’utilisation de plusieurs modes de transport, sans avoir à passer par différents opérateurs. Le partage des données représente également un défi majeur dans les politiques d’innovation. L’IA jouera un rôle central en collectant des informations pour les opérateurs, les territoires et les entreprises. La gestion des flux, l’organisation des transferts de mobilité et l’accessibilité des destinations, la mobilité électrique, les destinations zéro carbone ou encore le dernier kilomètre – dont la mauvaise gestion est une cause de la surfréquentation touristique – seront au centre des préoccupations. Rendez-vous au WIT pour en parler. 

En route pour le WIT, le 8 avril ! 

Parce que l’itinérance est l’un des piliers du tourisme c’est le thème que nous vous invitons à explorer avec des experts, professionnels, starts-up et entreprises le 8 avril au Palais des Congrès du Touquet-Paris-Plage

Au programme, des conférences, débats, ateliers et conférences pour faire un tour du sujet sous le prisme des tendances (sport, gaming, mobilités éco-touristiques, cyclo-tourisme, etc.), des nouvelles attentes des visiteurs, de l’innovation technologique (nouvelles apps, usages tech et IA, collecte des Datas), des grands projets pilotes d’aménagements touristiques en France et dans les Hauts-de-France et bien sûr des talents qui vont révolutionner le tourisme dès demain ! 

> Une matinée placée sous le signe de la 4e révolution touristique en la présence de Rémy Knafou, auteur du livre “Réinventer le tourisme : Sauver nos vacances sans détruire le monde.” 

> Un après-midi de tables rondes où des professionnels de la filière partageront leur vision de l’itinérance touristique de demain.

Tout le programme à retrouver ici

Propos recueillis par Claire Decraene 


  1. *Source : CGEDD et France stratégie, prospective 2040-2060 des transports et des mobilités, 2022.  ↩︎
  2. *NDLR : le tourisme 11 % des émissions de gaz à effet de serre de la France, selon une étude de l’Ademe de 2021.  ↩︎