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Tourisme : trancher le nœud gordien

Tourisme : trancher le nœud gordien

Pour le premier article paru sur Hauts-de-France Innovation Tourisme, les équipes ont souhaité donner la parole à Nicolas Fourcroy, CEO de la société Eurakom, qu’il a fondé en 2005. Pour cette tribune inauguratrice, il nous parle de la croisée des chemins sur laquelle se trouve la région Hauts-de-France en matière de développement touristique.

Consultant expérimenté, avec à son actif la responsabilité de dossiers majeurs dans ses champs d’expertise, notamment dans la filière tourisme, Nicolas Fourcroy s’est spécialisé dans les domaines du Financement de projet, de la Stratégie d’influence, des Aides d’Etat, de la Direction de projet, du Développement durable, de la Gouvernance d’entreprises et les problématiques liées à l’Intégration européenne.

Comment l’écosystème touristique des Hauts-de-France doit saisir l’opportunité de l’innovation sociale, environnementale et digitale pour y arriver.

Inaugurer, avec cette tribune, le site de Hauts-de-France Innovation Tourisme (HIT), est à la fois un immense honneur et une responsabilité. Le privilège d’être associé à une initiative dans laquelle nombre de mes convictions se rejoignent : le potentiel de notre région en matière de tourisme, le rôle de l’entreprenariat à réaliser ce potentiel, la capacité de notre écosystème touristique à innover. Ma responsabilité sera de partager de façon pertinente ce qui anime depuis maintenant près de 15 ans mes choix de créateur d’entreprises et d’initiateur de projets en matière de tourisme responsable et régénérateur[1].

Mais revenons au(x) nœud(s) du problème. Le secteur touristique doit tenir compte d’un contexte évolutif post-crise sanitaire caractérisé à la fois par la nécessité de réévaluer les stratégies locales et régionales d’une part et la confrontation à une série d’injonctions perçues comme contradictoires qui remettent en question les solutions traditionnelles de même que leur acceptabilité.

Attractivité, mon amour ?

En matière d’attractivité, l’objectif des Hauts-de-France de passer d’un tourisme d’étapes à un tourisme de destination est certainement à portée de main. Son littoral, relativement préservé et facilement accessible aux visiteurs d’un bassin transfrontalier de près de 40 millions d’habitants, attire aussi une clientèle régionale qui y a traditionnellement ses habitudes et celle qui a découvert ses attraits lorsque le contexte sanitaire limitait les déplacements au long court. La politique de réindustrialisation de notre région créera à terme plus de 20 000 emplois directs et indirects soit autant de familles consommatrices de loisirs, et pour les nouveaux arrivants, de découvertes de son extraordinaire diversité. Enfin, sur le moyen et le long terme la dernière étude publiée[2] en mai de cette année par le Centre de Recherche Conjoint de la Commission européenne montre que la recherche d’un confort climatique provoque sans doute déjà une inflexion des flux touristiques qui est à anticiper en faveur des régions littorales du Nord de l’Europe. Dans les scenarii à + de 3°C c’est tout le littoral de la Côte bretonne jusqu’à la mer Baltique qui voit l’augmentation de la demande touristique entre + 5% et + 15,9%.

Des leviers existent pour freiner cette tendance, mais il faudra compter sur une inertie avant de « dévendre » la destination. L’exemple du Pinzgau autrichien est édifiant. La réorientation radicale opérée en 2021 en faveur d’un tourisme intra-européen n’a pas affecté la clientèle moyen-orientale qui continue d’affluer.

Injonctions contradictoires ?

Saisir l’opportunité de l’accueil de ces futurs visiteurs est un enjeu quantitatif et qualitatif qui nécessite la prise en compte de nombreux paramètres :

  • Développer de nouvelles capacités tout anticipant les aléas climatiques et les limitations posées par la politique Zéro Artificialisation Nette.
  • Adapter l’existant à l’économie touristique tout en respectant les efforts collectifs de rénovation thermique, en créant un meilleur équilibre avec le foncier résidentiel et en évitant une forte proportion de « lits froids » ; les dernières propositions du Ministre du logement, Patrice Vergriete, le 19 novembre vont en ce sens.
  • Absorber cette augmentation des visites et des séjours en limitant l’impact négatif généré par les déplacements, en développant l’intermodalité entre et avec les transports durables, en soutenant une offre quantitative et qualitative en termes de liaison, d’infrastructures et d’équipements et en mobilisant les professionnels des transports à cette fin ;
  • Mieux répartir les flux géographiquement et dans leur durée, notamment sur les ailes de saison.
  • Accompagner les processus de décision au niveau local avec un accent sur la concertation et l’acceptabilité des projets.

L’innovation s’impose déjà comme un moyen d’intégrer ces contraintes dans un même modèle afin que l’écosystème en charge de la gestion des destinations puisse mieux les appréhender. C’est l’expérience proposée par l’INRENT avec le serious game Littopia[3]

Gouvernance et subsidiarité

L’organisation Mondiale du Tourisme recommande une politique de gestion des destinations qui mette en avant la gestion coordonnée de tous les éléments qui composent une destination touristique en évitant notamment les redondances en matière d’accompagnement et de structuration de l’offre. En ne prenant que l’exemple du littoral Hauts-de-France Côte d’Opale, on peut aisément constater que les structures ne manquent pas à tous les niveaux et que la limite de l’action des uns et des autres et la capacité à se coordonner sur des sujets complexes est relative :

  • Locales : Communes, EPCI, Offices de tourismes (Communautaires ou non), Agences d’attractivité, Grand sites disposant d’une gouvernance spécifique
  • Départementale : Agences départementales
  • Régionale : Comité Régional du Tourisme, Hauts-de-France Innovation Tourisme, les Parcs Naturels régionaux, le Conservatoire du littoral, les Pôles métropolitains, …

Dans ce contexte nous manquons d’Organismes de Gestion de Destination qui au-delà du marketing favorisent la collaboration intersectorielle et incarnent un pilotage stratégique sur le long terme. La transition peut être déclenchée en faveur d’un basculement vers une démarche de durabilité. L’introduction d’une forme de subsidiarité entre ces échelons permettrait de traiter au meilleur niveau les différents enjeux, et de s’affranchir des cycles courts de l’action politique locale ou des querelles picrocholines. Le Pôle Métropolitain Côte d’Opale a certainement un rôle à jouer à minima en matière de coordination, sinon de réceptacle d’une stratégie concertée pour l’horizon 2050 qui préserverait l’authenticité de notre patrimoine naturel et historique, le bien-être de nos visiteurs et des résidents. En tout cas, sa charte actuelle datant de 2007 pourrait être actualisée afin de permettre de poser les bases d’une stratégie commune pour une véritable destination côte d’Opale. Une coordination à cette échelle, les synergies possibles, une vision et des objectifs communs peuvent-être définis en associant élus, acteurs économiques, le monde universitaire, la société civile et les habitants : un beau programme en matière d’innovation sociale pour les 4ème Assises du PMCO ?

Cette vision stratégique, de long terme, au niveau d’une destination a fait ses preuves en Baie de Somme. Dominique Cocquet[4], le rappelait encore à l’occasion de la conférence proposée par HIT sur les stratégies touristiques à développer en matière de changement climatique. Elle est déterminante pour l’innovation en offrant un contexte lisible dans lequel elle s’épanouira.

L’innovation touristique : de l’incrémental au disruptif

Dans le contexte actuel, une lame de fond est certainement préférable à un tsunami. Insuffler l’esprit d’innovation, l’animer, le maintenir sur la durée, le faire progresser et élever le niveau est déjà un défi en soi. Et si cela, en plus, crée les conditions d’une innovation disruptive…

Un récent rapport européen[5] reconnaissait les obstacles à l’adoption de nouvelles solutions pourtant disponibles et éprouvées. Ce travail d’identification nous le pratiquons au sein d’EURAKOM depuis plusieurs années, avec des résultats salués encore récemment[6]. Ces pratiques innovantes sont des leviers qui permettent d’accélérer la transformation de l’offre touristique, en particulier dans les PME, mais aussi d’agir sur la demande en développant une bulle informationnelle pour le touriste qui lui permettrait en temps réel ou par anticipation de programmer son parcours du jour, du week-end, de la semaine, en répondant à ses principales attentes et contraintes matérielles ou éthiques.

Récolte des données éparpillées, rôle de l’intelligence artificielle dans la gestion durable des destinations, qualité de l’interface entre le touriste et l’écosystème grâce à la dimension phygitale : autant d’enjeux à considérer. Le rôle des jetons numériques ou « tokens » dans la meilleure répartition des flux touristiques peut s’inspirer de la récente collaboration entre l’Office de Tourisme de Dunkerque et la start-up Wytland[7].

Entraîner les acteurs à franchir le seuil de l’innovation reste un processus ardu. Nous l’avons expérimenté dans le cadre de l’AMI lancé par HIT, certains acteurs hésitent à s’engager, malgré leurs besoins et un accompagnement technique et financier.

HIT doit devenir le « bouleverseur » de notre écosystème, réunir à ses côtés un maillage d’acteurs de qualité, présents sur tout le territoire et qui partagent cette volonté de bouger les lignes. La prochaine édition du Week-end Innovation Tourisme en avril 2024 sera certainement l’occasion de nous rassembler et d’échanger sur ces sujets et ensemble, peut-être, de trancher le nœud gordien qui paralyse et repousse l’horizon de l’action.


[1] Une réorientation vers un tourisme qui régénère les destinations et apporte des avantages économiques, sociaux et environnementaux, sans perdre de vue les défis mondiaux tels que le changement climatique.

[2] Matei, N., Garcia Leon, D., Dosio, A., Batista E Silva, F., Ribeiro Barranco, R. and Ciscar Martinez, J.C., Regional impact of climate change on European tourism demand, EUR 31519 EN, Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2023, ISBN 978-92-68-03925-0, doi:10.2760/899611, JRC131508.

[3] https://inrent.univ-littoral.fr/littopia/

[4] 1er Président du Syndicat mixte de la Baie de Somme.

[5] Commission européenne, Direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME, Parcours de transition pour le tourisme, Office des publications de l’Union européenne, 2022, p.20, https://data.europa.eu/doi/10.2873/008351

[6] https://tinyurl.com/43wejrwp

[7] https://www.dunkerque-tourisme.fr/les-nfts-qui-decoiffent/